Lentilles au chorizo

Publié le par Delphine

          Me voilà sur ma ligne 12, à l’affut d’un portrait qui pourrait bien valoir la peine d’être évoqué ici. Il ne se passait pas grand-chose jusqu’au moment où, à Montparnasse, trois bonnes femmes d’une cinquantaine d’années sont entrées. Elles se sont assises toutes les trois sur le carré où je me trouvais. Un parfum bon marché se dégageait de chacun de leur mouvement. Elles parlaient avec entrain, d’un accent chantant. Je leur donnais tout de suite des noms : Josianne (que ses copines devaient sûrement appeler Josy), Sylvie et Catherine. Ma Catherine semblait un peu plus en retrait. Elle suivait, acquiesait d'un sourire timide, sans intervenir réellement. J’imaginais 3 collègues de banlieues venant passer la journée à Paris, et je ne pouvais pas envisager autrement leur relation, à en juger leur conversation enflammée sur la façon de cuisiner des lentilles. Josy y ajoutait toujours des petits oignons. Sylvie, elle, mettait systématiquement du chorizo, ce qui enchantait Catherine qui trouvait ça effectivement très bon. Josy a promis d’essayer la prochaine fois. Sylvie va tous les vendredis chez les boucher. Mais elle a un petit appétit, c’est pourquoi elle demande toujours à son boucher de réduire les quantités de viande. Et pourtant, c’est une carnivore ! Mais ce qu'elle aime avant tout, ce sont les pâtisseries, surtout les feuilletés. Josy n’a jamais été trop sucré. Elle ne salive jamais devant une bonne tarte. Je n’ai pas entendu Catherine se prononcer à ce sujet. Peut-être a-t-elle eu peur de semer la discorde, et de peser sur la balance entre les pros sucrés et pros salés. Un enjeu de taille avait failli se jouer, mais Catherine, intuitive, avait évité le drame. Je l'avais bien cernée, j'en étais ravie. Ma bonne Catherine ! 

          Je serais bien intervenue au sujet des lentilles. Avec ou sans chorizo, je n'ai jamais réussi à les faire bien cuire. Je commençais à me sentir mal à l'aise à suivre de si près cette conversation dans laquelle personne ne m'avait invitée. Pas de livres dans mon sac, et mon portable n'avait plus de batterie. Aucun moyen de feindre un activité quelconque. Je m'enfonçais sur mon siège, essayant de disparaître. Il faut croire que j'y arrivais bien, les trois compères ne semblaient même plus me voir. Josy a ensuite parlé d’un type qu’elle se serait mise dans la poche, le maire d’Arcachon, apparemment. Tiens, c’est de là qu’elles devaient venir, Arcachon !! Non, ça ne colle toujours pas. Elles n’avaient pas de valises avec elles. Tant pis, j'y tenais. A ce stade, je me retrouvais donc plongée dans la vie sentimentale de Josy, 56 ans, célibataire, originaire d'Arcachon. Même dans les plus mauvais sitcom' on ne brode pas de tels scénarios.  On était monté un cranc au-dessus, je n'en demandais pas tant. En tous cas, elle était si sûre d’avoir bien ménagé le bonhomme qu’elle s’imaginait déjà « première dame d’Arcachon » (ce sont ses mots). Elle a même ajouté qu’elle devrait commencer à se mettre à la guitare. Ça m’a fait rire, et j'ai fait comme j'ai pu pour ne pas le montrer. 
Elles sont descendues à Concorde, suivies de leur voile parfumé. Je suis restée assise, imaginant Carla Bruni sortir un nouveau titre sur 
les lentilles au chorizo. 

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