La bouche du métro

Publié le par Delphine

J'étais réellement ravie d’avoir obtenu une place assise, en pleine heure de pointe. Je savourais ce moment, feignant de ne pas regarder autour de moi de peur de tomber sur une vieille dame ou une femme enceinte à qui j’aurais dû céder ma place. La tête reposant contre la fenêtre, balancée par le mouvement du wagon, les yeux fermés, je savourais. J’ai senti une place se libérer en face de moi, et, très vite, une personne s’y asseoir. Je n’y prêtais au début aucune attention. Mais au premier bruissement de papier, j’ai ouvert les yeux. Je le connais bien, ce bruit là. Il est si typique de ce que l’on nous donne en boulangerie, après avoir acheté le menu comprenant sandwich dessert et  boisson. Je ne me trompais pas. Pire, ce ne fut pas une odeur de jambon, ni de thon mayonnaise qui s’échappa du papier dans lequel la précieuse nourriture était enveloppée depuis si longtemps… Une pizza … Réchauffée. Qui piquait le nez. J’en ai eu un haut le cœur. En temps normal, ça ne me dérange pas. Mais il règne dans ces tunnels souterrains une odeur lourde, flottante, qui semble stagner dans l’air pour toujours. C’est l’haleine profonde de la terre, du fer, des machines qui chauffent. L’impudent venait y apporter sa touche. Autour de moi, le wagon était bondé et je ne pouvais pas quitter ma place, si chèrement acquise …

J'ai fini par risquer un coup d'œil rapide à mon voisin. Il était immense. Même assis, ses épaules dépassaient de très loin celles de sa voisine. A ce tronc, de grands bras, qui peinaient à faire voyager cette malheureuse part de pizza de son emballage, déposé sur les genoux, à cette grande, très grande bouche. Mon géant en était réduit à s’avancer lui-même vers sa précieuse part, se pliant en quatre, avançant au plus près sa bouche, ajoutant ainsi du ridicule au grotesque. Ses doigts s’enfonçaient dans la pâte, dégoulinante de sauce. Afin de raccourcir son calvaire, le pauvre homme semblait vouloir  engouffrer à chaque fois une quantité plus importante de nourriture. Impossible de respirer convenablement avec autant de choses à l’intérieur. Et j’en revenais à mon haleine, mon haleine de métro qui sortait précisément de la bouche de mon voisin d’en face.

Écœurée, je refermais les yeux, espérant que cet homme descende, et vite. Ce qui suit fut pire encore. Un « pssshhhhhhhit » que j’aurais dû prévoir. L’arôme chimique ne mit pas longtemps avant de parvenir jusqu’à mes narines. La canette de Fanta orange avait éructé pour lui. Cette première gorgée que j’entendis, je l’imaginais, tel un bain de bouche, je sentais les bulles se mêler aux restes de tomates champignon, nettoyer son gosier, que je voyais énorme. Les stations défilaient, et mon inconnu ne partait toujours pas. Puis il a donné le coup de grâce. Fouillant son sac plastique, je l’ai vu sortir un éclair au chocolat. Mon dessert préféré allait être marqué à jamais par cet homme. Il le mastiquait, si vulgairement… Comment pouvait-on manger un éclair après avoir sifflé une canette de Fanta orange ? Comment ? Tout me paraissait laid chez lui. Sa cravate tout d’abord, d’un goût douteux, à rayures violette, son costume, trop petit, ses pieds, trop grands, et cet imperméable, ridicule, qu’il portait sur le dos…

Je l’imaginais rentrer le soir, seul, dans son appartement exiguë, se baisser pour franchir chaque porte, ouvrir d’un air blasé son frigo pour y sortir une part de pizza. Malgré tout, je n’ai pas réussi à avoir pitié de lui. Mon prochain éclair au chocolat en gardera sûrement le souvenir.

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R
J'adore ta facon d'écrire ! <br /> Continue comme ça à nous faire prendre le métro avec toi c'est vraiment très plaisant.
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D
Merci Rose !