Jour de pluie

Publié le par Delphine

Ce matin, la pluie tombait à torrent. Les lourdes gouttes s’éclataient à l’infini sur le bitume gris et reprenaient leur course folle tout le long du boulevard, serpentant entre les pas précipités des passants. Sur le bas-côté, le caniveau ne pouvait plus contenir toute l’eau déversée, un ruisseau agité s’y était formé. La pluie semblait avoir absorbé les couleurs du jour, transformant l’air en voile gris. De la fenêtre du salon, j’observais un homme courir qui s’abritait sous un journal déjà détrempé. Une femme résignée marchait d’un pas indolent, la tête haute. Fichu pour fichu, mouillée pour mouillée, autant essayer d’apprécier le moment tel qu’il se présentait. Puis, au milieu de cette grisaille, un parapluie est arrivé. De là où je me trouvais, surplombant le boulevard, j’apercevais à peine les bottes en caoutchouc rose de son propriétaire. Le parapluie était multicolore, tranchant furieusement avec le décor. Rouge, jaune, vert, bleu. On aurait dit que dans ce film en noir et blanc, un personnage en couleur s’était trompé de décor. Je l’ai suivi des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’angle d’une rue.

A mon tour, j’ai affronté la pluie pour me précipiter dans la bouche de métro. Tout semblait encore plus sale que d’habitude, et la foule plus pressée encore. Les parapluies repliés à la hâte laissaient courir derrière eux un mince filet d’eau que plus personne n’essayait d’éviter. Le mince filet s’étalait en flaque immense sous les pas des voyageurs. Le moindre papier tombé d’une poche se trouvait pris au piège, condamné à une décomposition accélérée. Les mégots, qui en temps ordinaire, roulaient tranquillement sur le côté, se retrouvaient éventrés et vidés de leur tabac brun, l’enveloppe de papier humide ne pouvant plus le contenir. Les sacs en plastique, qui dansaient d’habitude dans les courants d’air, agonisaient maintenant au sol. Certains, malgré leur lourd fardeau, arrivaient encore à se trainer sur quelques mètres. Mais amputés de leur légèreté, ils finissaient piétinés, empêtrés dans l’eau crasseuse.  

Une fois engouffré dans le wagon bondé, même en étant au sec, l’odeur de mouillé persistait. Elle se dégageait des imperméables humides, des cheveux ruisselants, mêlée aux parfums de chacun et aux arômes de tabac froid. A travers mes bottes, je sentais l’eau atteindre petit à petit l’extrémité de mes chaussettes, ce qui mit définitivement un terme au peu de bonne humeur qu’il me restait encore. Le ton était donné pour toute ma journée, et c’est grise et froide que j’ai repris le métro dans le sens inverse quelques heures plus tard. La pluie tombait encore. Le vent froid du soir sifflait en plus dans les souterrains. Peu de temps avant d’arriver à ma station finale, alors que je fixais d’un regard vague les pieds des passagers, un détail a retenu mon attention. Un parapluie, fermé. Multicolore. Qui se tenait collé à une paire de botte. Rose. Un éclat de couleur dans ma journée morne, un clin d’œil malicieux du hasard des rencontres.

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