La place offerte

Publié le par Delphine

« Monsieur, vous voulez vous asseoir ? » Dans le métro bondé de la ligne 13, un jeune homme avait commencé à se lever en indiquant sa place à une personne près de lui. En entendant cela, j’ai tourné la tête, par curiosité perverse. J’étais debout depuis maintenant 15 minutes, le nez collé aux aisselles de mon voisin. Dans le même temps, j’étais parvenue à établir un équilibre précaire en répartissant mon poids entre mes deux pieds à mesure que les secousses se faisaient plus violentes. Je refusais d’empoigner la barre métallique, luisante de graisse. Les températures anormalement élevées pour la saison avaient surpris tout le monde en ce milieu d’après-midi. On n’avait pas eu le temps de se débarrasser de ses pulls en coton et manteaux à fourrure. Certains portaient ces couches de vêtement devenues inutiles sous le bras. D’autres, pour ne pas s’encombrer, persistaient à garder le tout sur le dos, ce qui était mon cas. Je me sentais collante et j’étouffais. Il était de ce fait parfaitement légitime d’avoir un droit de regard sur ceux qui se voyaient octroyer la place chère, afin de vérifier que la femme enceinte n’avait pas une bedaine trompeuse, que le vieux n’était réellement plus en mesure de marcher, que l’handicapé était suffisamment estropié pour mériter cette place de choix.

Or, l’homme n’était ni enceinte, ni agrippé à une canne, et il avait encore ses deux jambes. Il a eu tout d’abord un mouvement de surprise, avant de partir dans un rire fort, trop fort pour être sincère. Non, il était gêné. « Oula non, c’est bien la première fois qu’on me la fait celle-ci ». C’est vrai qu’à part ses cheveux blancs, ses quelques rides au front et ses vêtements ringards, aucun indice ne laissait croire qu’il était entré au stade de la vieillesse. Le jeune homme s’est rassis, confus. L’autre est resté debout, le dos appuyé à la porte, fier et droit, souriant encore de la méprise dont il avait fait l’objet. Je l’observais du coin de l’œil. Il devait toujours se répéter dans sa tête « On me la jamais faite celle-ci, ro non alors, jamais ». Puis, son sourire a fini par disparaitre, lentement. Son regard a fixé un point imaginaire en face de lui. Je ne sais pas trop ce qu’il voyait, mais cela avait l’air de le rendre soudain  triste. La dure réalité du temps qui passe, de sa jeunesse flétrie, du jour où on lui proposera une place assise qu'il sera obligé accepter. Il se tenait toujours debout, le torse bombé, les bras croisés dans le dos, comme pour prouver au jeune insolent l’étendue de l’erreur de son jugement. Mais il ne trompait personne. Ses cheveux étaient bien blancs, eux. Et ses rides bien présentes. Son regard a croisé le mien, et j’ai vu qu’il a su que je savais.

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