Les fous du métro

Publié le par Delphine

      Allez savoir pourquoi, on ne croise jamais autant de cinglés que dans le métro. On peut avoir la chance d’en rencontrer un dans la rue, ou à la terrasse d’un café, mais ça reste assez exceptionnel. Tandis que dans le métro, les fous ont l’air de faire partie du décor, leur place est toute acquise, ils sont un peu comme chez eux. Ils peuvent exposer leur folie aux yeux de tous sans que cela dérange. 

Hier, l’un d’entre eux est entré dans la voiture où je me trouvais. On aurait dit un enfant dans un corps d’adulte, grand et maigre, chemise boutonnée jusqu’au col, les trois cheveux ornant son crâne soigneusement peignés sur le côté gauche. Il tenait dans sa main une serviette noire, qui n’avait pas l’air bien épaisse.  Il s’est agrippé à la barre centrale et a commencé à en faire plusieurs fois le tour, répétant « Miromesnil Miromesnil Miromesnil, je dois monter à Miromesnil, Miromesnil ». Certains passagers l’observaient, amusés. D’autres feignaient de l’ignorer. Mais ce qui m’a vraiment surpris, c’est qu’il n’y a pas eu de moqueries particulières. Les gens ne sont donc pas si méchants que cela dans le fond. Tout le monde semblait brusquement plus normal que jamais, conforté dans une normalité partagée où seul un individu s’en était extirpé. Il a fini par s’asseoir sur un des strapontins, droit comme un i, en passant régulièrement la main sur sa serviette, comme pour vérifier qu’elle était encore bien là. Un dialogue intérieur a commencé dans sa tête. Aucun son ne sortait de sa bouche, mais ses lèvres bougeaient rapidement, articulant des phrases dont lui seul connaissait le sens. Ses formules secrètes avaient l’air de le décrisper.

En face de lui, un enfant, assis près de sa mère, l’observait. Il n’arrivait pas à en détacher son regard. De ma place, je m’amusais plus à regarder l’enfant qu’à étudier le fou. Le garçonnet en oubliait même d’interroger sa maman sur le comportement du monsieur. Ça aurait été cocasse ! « Maman, pourquoi le monsieur s’accroche à la barre ? Pourquoi le monsieur parle tout seul ? » Quelle réponse aurait-elle pu apporter ? « Parce qu’il est fou, voyons ! » « Ah, et maman, c’est quoi un fou ? » Elle aurait été bien embêtée … « C’est quelqu’un qui ne fait pas comme tout le monde. » J’en étais encore à imaginer le dialogue entre la mère et l’enfant quand les portes se sont ouvertes. Tout à coup, le fou s’est levé et est sorti d’un pas déterminé, en serrant dans ses bras sa serviette. J’ai à peine eu le temps de lui jeter un dernier regard.

Le wagon s’était vidé, et je me retrouvais seule maintenant face à la barre. Et si … Non, je ne voulais pas qu’on me prenne pour une folle! Pourtant, quel enfant ne saute pas sur l’occasion pour tournoyer autour de cette barre en métal ? Et j’ai déjà vu plus d’un adulte éméché faire de même dans le dernier métro. Quelque part, j’enviais la légèreté des fous.

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